Accords de partenariat économique : Enjeu principal du Sommet Afrique-Caraïbes-Pacifique à Malabo

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Il est vrai, d'autres sujets de discussions y figurent, mais l'ordre du jour du 7e sommet des chefs d'Etat et de gouvernement ACP précédé de la 96e session du Conseil des ministres ouvert mardi retient notamment l'attention pour la réflexion axée sur l'"avenir de l'aide au développement et du partenariat avec l'Union européenne, y compris les Accords de partenariat économique".

"C'est très clairement l'objectif de la réunion. Il s'agit d'aboutir à un accord ou à une position commune de part et d'autre, c'est-à-dire de l'ensemble ACP comme de l'ensemble de l'Union européenne qui, de toute façon, est déjà unie sur la question", a analysé à Xinhua le politologue camerounais Firmin Mbala.

Imaginés par l'Union européenne pour rythmer, après les accords précédents de Yaoundé, Lomé et de Cotonou devenus désuets, les relations de coopération entre le Vieux-Continent et ses partenaires traditionnels d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans une économie mondiale bousculée par l'apparition de nouveaux acteurs, les APE se heurtent à une forte opposition dans les pays ACP.

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LE CAMEROUN SOUS PRESSION

Seul pays d'Afrique centrale à avoir signé un APE dit d'étape ou intérimaire pourtant conditionné pour son application côté camerounais par la conclusion d'un APE régional CEMAC-UE, le Cameroun par exemple est sous pression européenne, l'UE exigeant la ratification avant le 1er janvier 2014 par l'Assemblée nationale (Parlement) camerounaise de l'accord conclu, au risque du retrait des avantages commerciaux sur l'accès au marché européen. Dénoncé par les autres pays de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (composée en outre du Congo, du Gabon, de la Guinée équatoriale, de la République centrafricaine et du Tchad), cet accord concerne exclusivement des filières économiques stratégiques camerounaises constituées des bananes, de l'aluminium, du cacao transformé, des fruits frais et des contreplaqués).

Jugés contraires aux règles du commerce mondial édictées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), ces accords destinés à instituer une zone de libre-échange entre l'UE et les ACP ont suscité dans nombre de pays africains une grande levée de boucliers de la part d'organisations de la société civile qui y perçoivent le risque d'une plus grande fragilisation des économies africaines basées essentiellement sur l'exportation de matières premières non transformées.

A ses partenaires surtout africains, l'Union européenne exige principalement une ouverture initiale des marchés à 80% appelée à devenir totale plus tard et l'introduction d'une clause sur la nation la plus favorisée dans l'accord, mais elle rechigne à satisfaire la demande de mesures d'accompagnement pour le développement de ces pays suite à l'ouverture de leurs marchés. "L'Union européenne, elle, a donné un accès total, 100%. Nous demandons seulement que dans le cas où il y a un accord avec autre partenaire, qu'on puisse voir quel est le niveau de concession donné par le Cameroun et quel est le niveau de concession donné par le partenaire, pour voir si jamais il y a eu une concession supérieure du Cameroun à l'autre partenaire", laissait entendre lors d'une visite en 2011 à Yaoundé, Sandra Gallina, chargée d'unité APE à la direction générale du commerce de la Commission européenne à Bruxelles en Belgique.

PARTENAIRE FAIBLE

"L'APE (Afrique centrale-Union européenne, c'est un accord entre une zone extrêmement développée et une zone dans laquelle on trouve au moins 5 pays PMA pays les moins avancés, NDLR). Nous sommes dans des configurations de déséquilibre total", observait cependant le directeur du marché commun à la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), Carlos Bonfim.

"Nos capacités productives et d'offre sont tellement limitées que nous ne pouvons pas tirer de vrais avantages qu'offre l'ouverture du marché de l'Union européenne pour nos pays. Quand on voit ce que l'Union européenne met sur la table comme possibilité d'accompagnement, ça ne représente pas grand-chose". L'UE a alloué en 2010 une aide de 150 millions d'euros en faveur du Programme indicatif régional (PIR) de l'Afrique centrale. Ces fonds se répartissent entre 15 millions d'euros pour l'appui au processus de paix et de sécurité, 30 millions pour l'environnement et 97 millions pour le renforcement des capacités institutionnelles.

De l'avis de Bonfim, "l'APE ne peut pas être un APE juste si le partenaire le plus faible n'est pas soutenu par le partenaire qui a beaucoup plus de moyens". Selon lui, le Gabon par exemple, où est basée la CEEAC, "perd plus de 45 milliards de CFA (90 millions USD) par an dans l'exportation de bois contreplaqués sur le marché européen. Mais, ils ont dit que s'ils signaient l'APE intérimaire, ils allaient perdre trois ou quatre fois plus".

 Au Cameroun, le Document de stratégie pour la croissance et l'emploi adopté par le gouvernement en 2009 a évalué dans une simulation de l'impact de l'APE sans la mise en œuvre de son volet développement et mise à niveau des entreprises locales, à 547,7 milliards de FCFA (1,095 milliard USD) les pertes cumulées de recettes non pétrolières sur la période 2010-2020, dont 459,6 milliards (919, 2 millions USD) entre 2015 et 2020. "Ce gap représenterait en moyenne 0,4% du PIB (produit intérieur brut) sur cette dernière période. Cette situation aggraverait le besoin de financement qui passerait de 216,3 milliards (432,6 millions USD) en 2010 à 1.167,5 milliards (2,335 milliards USD) en 2020", poursuit le document.

PROMOUVOIR LE REGIONALISME

Pour Firmin Mbala, à travers les APE, "l'Europe veut promouvoir le régionalisme, puisqu'elle privilégie les accords régionaux. Le résultat, c'est qu'ils ont même une tendance à affaiblir les ensembles sous-régionaux. Si on ne prend que la CEMAC, il a été impossible de signer un accord avec la CEMAC parce que les objectifs et les tailles des économies sont différents".

 "L'Europe fait valoir que ce serait à l'avantage de l'Afrique, mais on n'est pas obligé de la croire. Ils ont pour cela quand même un certain nombre d'arguments qui sont défendables. Le premier, c'est celui qui consiste à dire que depuis les accords de Lomé qui dataient de 1975, les accords de Cotonou qui ont été signé en 2000 et qui ont vocation à courir jusqu'en 2020, il n'y a pas eu de progrès significatifs", nuance toutefois l'universitaire. Il note par ailleurs que "l'aide au développement de l'Union européenne n'a pas non plus débouché sur des progrès significatifs. Au contraire, la part de l'Afrique dans le commerce mondial a baissé ; le commerce intra-régional en Afrique a lui-même baissé. Et puis, il faut toujours se dire que l'Union européenne dont le modèle est célébré ces jours-ci via le prix Nobel de la paix est un modèle atypique mais qui est fier de lui-même. Donc, il veut faire des émules à travers le monde". A Malabo, le ministre camerounais de l'Economie Emmanuel Nganou Djoumessi, président du Conseil des ministres ACP, s'est réjoui de la finalisation des discussions avec la partie européenne "pour la mise en place effective de mesures d'accompagnement pour la banane". D'après lui, ce sont des mesures que l'UE "entend prendre en direction des pays ACP pour les aider à produire davantage et à commercialiser la banane". Mais, une aide de 190 millions d'euros accordée par l'UE au profit de cette même filière en 2009 attend toujours son déblocage.